Voici, comme prévu, une nouvelle étape franchie pour mon Défi : un deuxième portrait de femme inspirante.
Après Aurore Peeters, c’est autour de Johana Simao de se prêter au jeu.
Je suis ravie d’avoir pu interviewer par téléphone Johana qui a déjà derrière elle un joli parcours à la mesure de ses engagements.
Son portrait
Simple, ouverte, agréable et dont l’engagement passe au travers de la voix.
Le contact fut donc très facile. Une discussion plus qu’une interview finalement.
Comme je le disais précédemment, Johana est une femme d’engagement.
Devant des événements qui l’émeuvent ou la révoltent, elle avoue ne pas pouvoir rester inactive. Il lui faudra agir ou réagir même si elle comprend aujourd’hui qu’il lui faut aussi savoir se préserver.
Ses convictions, elle les doit à un environnement multiculturel, des rencontres, des événements.
Johana a accepté de se raconter ici sans fard.
Je vous laisse découvrir.
Une double-culture
Johana déclare avoir eu la chance d’être issue d’une double culture franco-portugaise.
C’est une chance car parler ses deux langues maternelles lui a donné l’envie d’en apprendre d’autres. En outre, la langue portugaise étant très riche en termes de sonorités, cela lui a donné une oreille musicale qui en facilite l’apprentissage de nouvelles.
Aujourd’hui, elle en parle cinq (français, portugais, anglais, espagnol, italien). Elle a également étudié l’arabe littéraire et du fait d’avoir vécu en Afrique de l’Ouest, elle s’est familiarisée avec le wolof (Sénégal) et le bambara (Mali).
« Une langue véhicule tant de choses, un univers, des notions, concepts et ses réalités propres. La langue permet d’appréhender la culture d’un pays. Certains mots sont même parfois impossibles à traduire parfaitement. C’est le cas de « saudade », par exemple. »
« Saudade » ou sentiment mêlé à la fois de nostalgie, de manque, d’espoir et de désir de retrouver ce qui nous manque. Un mot portugais tout en nuances qui est la marque d’un peuple.
Une double-culture, c’est également une richesse qui permet l’ouverture sur le monde. Celui-ci lui a donné l’envie de découvrir les autres et de comprendre la richesse liée à la différence.
Cette curiosité insatiable et son ouverture aux autres, c’est son souffle, son énergie.
Une féministe
Johana se définit elle-même comme féministe.
Pourtant, le machisme était très présent dans sa famille.
« Il ne faut pas croire que le machisme, tout comme le sexisme, est plus présent au Portugal qu’en France. Il l’est tout autant en France, parfois même plus que dans certains pays du Sud de l’Europe. Il suffit de regarder les controverses extrêmes qu’a soulevé le mariage pour tous en France, pourtant adopté depuis plusieurs années par l’Espagne ou le Portugal. »
Mais face au machisme masculin, elle a vu s’opposer le courage féminin, dont sa mère, notamment, est le symbole.
Une vraie solidarité s’est construite entre elles.
Et Johana s’en rend compte, le féminisme a toujours fait partie d’elle.
Plus jeune, elle ne savait tout simplement pas mettre de mot dessus.
C’est en grandissant qu’elle l’a réalisé.
Et plus particulièrement quand elle a effectué ses études sur le genre aux Etats Unis.
Elle a enfin pu coupler ses convictions profondes, à savoir les sujets comme l’égalité, le genre ou le féminisme, avec ses ambitions professionnelles.
Ce fut une véritable révélation pour elle.
L’excision, un sujet qui lui tient à cœur
Ce sujet la touche profondément comme tout ce qui a trait aux atteintes à l’intégrité des femmes.
Johana a passé trois années en Afrique de l’Ouest.
Excision, mariage forcé et autres violences faites aux femmes – bien que les femmes en Afrique de l’Ouest soient loin d’être réduites à ces violences, qui opèrent ailleurs dans le monde.
Pourquoi l’excision ?
Dans un premier temps, ce sont ses lectures qui l’ont sensibilisée à ce sujet, notamment les romans de l’écrivain ivoirien Amadou Kourouma.
Elle en a été profondément bouleversée.
« L’excision, c’est l’atteinte à l’essence féminine même. Une répression de la sexualité féminine, du droit à disposer de son corps. Et il ne faut pas croire que cela ne touche que l’Afrique. La France et l’Occident ne sont pas plus exemplaires. Quelques années en arrière, c’est ce que nous faisions aux femmes dites hystériques. C’est donc un problème global. »
Elle ajoute que c’est une pratique patriarcale, même si elle est pratiquée aux femmes par les femmes. C’est en quelque sorte un geste d’amour de mères. Elles évitent ainsi à leurs filles d’être marginalisées, rejetées, du fait de ne pas suivre la norme sociale.
Il y a un travail de sensibilisation titanesque à réaliser sur le sujet.
En tant que « blanche » et « étrangère », Johana était là pour écouter et sensibiliser. Elle n’allait pas au-delà, ne se sentant pas légitime de le faire au risque de passer pour une « donneuse de leçons ».
« Il est important que cette lutte reste entre les mains de ces femmes. »
Par cette expérience, Johana confirmera sa volonté de s’engager contre les violences faites aux femmes. Et c’est ce qu’elle poursuivra à son retour en France.
Le retour en France
Elle s’engage alors dans des associations et collectifs contre les violences faites aux femmes.
Elle avoue que ce sujet peut être très lourd à vivre émotionnellement. Il faut donc être vigilante pour ne pas se laisser complètement submerger.
Johana a compris qu’elle devait s’octroyer des pauses où ce sujet était absent. C’est une dissociation et une distanciation nécessaires pour ne pas se sentir mal et rester utile.
Elle a également appris, grâce à d’autres femmes engagées, qu’il fallait se protéger des attaques en évitant notamment de lire les commentaires haineux sur les réseaux sociaux.
Des difficultés rencontrées dans son parcours…
L’univers professionnel n’est pas toujours tendre avec les femmes (femmes enceintes jugées « opportunistes » lors de l’obtention de leur CDI, harcèlement…).
Elle-même a vécu une expérience de harcèlement sexuel.
De cette expérience, elle a choisi d’en faire un témoignage et des formations organisées sur ce thème sur place.
Il ne s’agissait pas de sa première expérience de violence.
Mais plutôt que de la décourager et de n’en faire qu’une victime de plus, ces expériences ont donné du sens à son engagement. Elles lui ont également fait prendre conscience de l’importance de travailler dans des milieux en accord avec ses valeurs.
L’ayant vécu elle-même, elle sait ce que c’est d’être une victime jugée en partie responsable d’une agression.
Son expérience sert aujourd’hui aux associations et collectifs qu’elle a rejoints. Elle y retrouve d’autres femmes engagées à différents niveaux, sous différentes formes.
Elle ne sait pas encore elle-même quelle forme d’engagement lui correspond le plus. C’est la raison pour laquelle elle a rejoint plusieurs organisations.
Ce qu’elle sait par contre, ce qu’elle sent, c’est que cela commence à bouger.
Pour preuves, des prises de paroles plus fréquentes, l’émergence de certains sujets clés (féminicides, viols et agressions sexuelles avec le mouvement #MeToo, écriture inclusive…).
Comme elle le rappelle, le féminisme n’est pas juste une action de femmes pour les femmes mais un mouvement égalitaire qui travaille aussi pour les hommes.
« Le patriarcat est également nocif pour les hommes. Il leur impose un modèle de virilité, l’impossibilité d’exprimer leurs émotions. »
Aujourd’hui, Johana veut se concentrer sur les choses positives. Elle se dit optimiste malgré un environnement parfois hostile.
…Mais également des aboutissements et du soutien
Un véritable soutien mutuel la lie à sa mère depuis longtemps, c’est avec elle qu’elle a appris à cultiver la sororité.
Elle dispose également d’un solide socle d’ami-e-s qui partagent les mêmes convictions. Avec elles et eux, elle se sent en phase mais surtout en totale sécurité, ce dont elle les remercie profondément.
Johana raconte qu’elle a également eu la chance d’avoir du soutien chez certaines de ses professeures, une corporation pour laquelle elle a une grande admiration et qu’elle juge sous-valorisée en France.
C’est grâce à certaines d’entre elles qu’elle a fait ce parcours. Ces femmes l’ont ainsi marquée, la poussant à faire des études ambitieuses, à se sentir légitime à poursuivre ses aspirations. Elles ont compté à la fois dans sa construction et ses ambitions.
Ce dont elle est la plus fière et reconnaissante, c’est d’avoir pu étudier à l’université de Columbia dans le cadre d’un échange. C’était un rêve depuis le lycée. Elle a pu poursuivre des études de genre, y trouver une autre approche du féminisme et des rôles modèles. Cela a déclenché quelque chose en elle. Elle n’en serait pas là en termes d’engagements sans cette expérience. Elle a d’ailleurs gardé des contacts avec des professeures de l’université.
Les prochaines étapes ?
Il y a tellement de choses qui l’intéressent qu’il lui est parfois difficile de ne pas se disperser.
Néanmoins, il y a deux sujets qui lui tiennent à cœur de réaliser.
L’écriture est vraiment importante pour Johana. Aujourd’hui, elle écrit beaucoup mais ce n’est pas encore suffisamment abouti, selon elle.
Elle souhaiterait aussi créer sa propre structure qui reflète son engagement pour l’égalité. Elle estime qu’il est encore trop tôt pour cela. Johana est actuellement en phase d’introspection et d’apprentissage, à la recherche de l’engagement qui lui ressemble véritablement.
Si tu avais quelques conseils ?
« Ne jamais s’autocensurer, libérer sa parole.
S’estimer légitime, ne pas se sentir coupable, ne pas se dévaluer.
Assumer ses envies et ses ambitions.
Rester soi-même.
Et vive la sororité et les hommes alliés à la cause de l’égalité ! »
Propos recueillis par Sophie Willocquet le 17 février 2020
J’espère que vous aurez pris autant de plaisir que moi à faire connaissance avec Johana.
Ce ne sont pas seulement certaines valeurs, notamment l’égalité, que Johana et moi partageons. Nous sommes également toutes deux membres du Club Femmes ici et ailleurs. Cette association s’attache à diffuser, depuis 2003, la culture de l’égalité au travers d’expositions, de conférences et ateliers mais également d’un magazine. Je vous invite à aller sur son site pour en savoir plus.
Si vous avez apprécié ce portrait, peut-être aurez-vous envie de découvrir les autres sur ce blog, voire même vous prêter également à ce jeu de l’interview.
Dans ce cas, n’hésitez pas à me contacter via la partie commentaires, commentez, partagez et pourquoi pas likez.
Et je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un 3e portrait de femme inspirante.
Au plaisir de vous lire.
Sophie